Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/243

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Jacques lisait, et je m’ennuyais à penser toute seule. Alors j’ai trempé le bout de mon petit doigt dans un encrier qui était devant moi, j’ai écrit quelque chose sur le bois… Oh ! je vais trouver, c’était très bien marqué, ça n’a pu s’effacer…

Elle tournait, se ployait à demi pour mieux voir. Au bout de quelques secondes de recherches, elle poussa un cri de triomphe.

— Je le savais bien, dit-elle. Tiens, lis : J’aime Jacques.

Guillaume, pendant qu’elle cherchait, essayait de réfléchir au moyen le plus doux qu’il pourrait employer pour la faire taire. Ses fiertés, ses égoïsmes d’amour étaient si profondément blessés, qu’il sentait lui venir des besoins invincibles de brutalité. Ses poings se fermaient malgré lui, ses bras se levaient. S’il ne frappait pas, c’est qu’il n’avait pas encore complètement perdu la tête, et que le peu de raison qui lui restait, se révoltait à la pensée de battre une femme. Mais quand il entendit Madeleine lire : J’aime Jacques, et rendre à ces mots l’accent qu’elle avait dû leur donner autrefois, il se dressa derrière elle, les deux poings en l’air, comme pour l’assommer.

Ce fut un éclair. La jeune femme, vaguement avertie, se tourna brusquement.

— C’est cela, cria-t-elle, bats-moi… je veux que tu me battes.

Si elle ne s’était pas retournée, nul doute que Guillaume n’eût laissé retomber ses poings. Cet énorme chignon de cheveux roux, cette nuque impudique où il croyait retrouver les rougeurs des baisers de Jacques, l’irritaient, le rendaient impitoyable. Mais quand il vit devant lui le visage blanc et délicat de Madeleine, il eut une pitié soudaine, il recula en faisant un geste de suprême découragement.

— Pourquoi te retiens-tu ? lui dit sa femme, tu vois bien que je suis folle et que tu dois me traiter comme une bête.