Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/246

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— Tu ne veux pas rester dans cette chambre jusqu’à demain ? demanda Madeleine.

— Non, répondit-il avec un léger frisson, nous allons partir.

Quand ils eurent pris leurs effets, ils jetèrent dans la chambre un dernier regard : le feu se mourait ; les draps du lit à demi découvert étaient tout roses ; les images des amours de Pyrame et de Thisbé ne faisaient plus sur les murs que des taches noires ; la pendule de verre filé bleuissait dans l’ombre. Et les époux se disaient qu’ils étaient entrés là l’espérance au cœur, et qu’ils en sortaient désespérés. Dès qu’ils se trouvèrent dans le couloir, ils étouffèrent malgré eux le bruit de leurs pas. Jacques pouvait les entendre se retirer. Madeleine tourna même la tête, regarda au fond du corridor, d’un mouvement instinctif.

Quand ils furent arrivés dans la cour, il leur fallut réveiller le garçon de service. Celui-ci se leva de fort mauvaise humeur. Il était deux heures du matin, ce brusque départ lui semblait des plus singuliers. Puis il s’imagina qu’il avait dû se passer quelque scène de jalousie entre les deux messieurs de madame Madeleine. Cela lui fit oublier sa mauvaise humeur. Quand les époux furent montés en cabriolet :

— Bon voyage, leur cria-t-il d’une voix goguenarde… Au revoir, madame Madeleine.

La jeune femme se mit à pleurer silencieusement. Guillaume laissa aller les guides sur le cou du cheval, qui reprit de lui-même le chemin de Véteuil. Ils ne songeaient plus qu’ils étaient partis pour se rendre à Paris, ils préféraient maintenant aller panser leurs blessures vives dans le calme et le silence de la Noiraude. Et ils refirent machinalement la route qu’ils avaient déjà faite, comme des bêtes frappées à mort se traînant jusqu’à leur terrier pour y mourir en paix. Ce retour fut navrant. La campagne s’étendait plus sinistre, sous les clartés obliques de la lune, qui allongeaient des ombres colossales le long de la route