Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/251

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cruelle. Parfois même elle ajoutait des réflexions au texte, elle menaçait de tourments horribles une criminelle qu’elle ne nommait pas, mais que ses yeux désignaient. Dans ces sortes d’improvisations, murmurées à voix basse, elle étalait les supplices de l’enfer, les chaudières d’huile bouillante, les longs crocs des démons retournant sur la braise les corps grillés des damnés, les pluies de feu tombant pendant l’éternité, lentes et continues, et dont chaque goutte marque d’une brûlure les épaules des foules hurlantes de l’abîme. Puis elle demandait à Dieu une prompte justice, elle le suppliait de ne pas laisser échapper un seul coupable, de débarrasser au plus tôt la terre de ses souillures.

Madeleine voulait ne pas entendre, mais les paroles basses et sifflantes lui entraient dans les oreilles malgré elle. Elle finit par devenir superstitieuse, elle qui n’avait pu se faire une croyance. À certaines heures de trouble, elle s’imagina que cet enfer, cette chambre de torture dont la fanatique lui offrait sans cesse l’affreux spectacle, existait réellement. Dès lors elle vécut dans des sueurs d’angoisse qui lui mouillaient le dos, lorsque la pensée de la mort se présentait à elle. Elle se crut coupable et à jamais condamnée. Cette vieille femme, qui employait ses journées à lui faire sentir l’horreur de son crime et la cruauté du châtiment que le ciel lui réservait, détraqua sa raison au point de lui donner des poltronneries d’enfant ; elle ne se reconnaissait plus, elle pensait au diable comme elle avait pensé à Croquemitaine, quand elle était petite fille. Et elle se disait : « Je suis infâme, Geneviève a raison de me traiter en pécheresse ; je souille cette maison de ma présence, je mérite les plus grands tourments. » Alors, le soir, elle entendait les lectures de la protestante avec des épouvantes folles ; il lui semblait saisir des chocs de fer, des sifflements de flamme, dans le murmure qui traînait autour d’elle. Elle pensait que si elle venait à mourir pendant la nuit, elle s’éveillerait le lendemain au milieu d’un brasier ardent.