Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/253

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place ! D’où venez-vous et qui êtes-vous ? vous êtes toute jeune et vous suez déjà la mort ; vous venez du mal et vous allez au châtiment… Je puis vous juger en face, je ne dois pas vous obéir.

Elle prononçait ces paroles avec un orgueil indomptable, une conviction profonde, car elle considérait Madeleine comme une voleuse qui se serait introduite par surprise à la Noiraude et qui aurait cherché à y voler l’estime et la paix. La jeune femme s’exaspérait à chacune de ses attaques.

— Vous sortirez, reprenait-elle avec force. Suis-je ou non la maîtresse ici ?… Ce serait risible, que je fusse obligée d’abandonner ma demeure à une servante.

— Non, je ne sortirai pas, répondait nettement Geneviève. Dieu m’a mise dans cette maison pour veiller sur mon fils Guillaume et pour vous punir de vos fautes… Je resterai jusqu’au jour où il sera délivré de vos bras, et où je vous verrai écrasée sous la colère du ciel.

Cet entêtement, cette voix perçante de vieille femme brisaient les volontés de Madeleine. Elle faiblissait, n’osant sauter à la gorge de la centenaire, ne sachant comment se débarrasser de sa présence. Elle retombait assise, elle répétait d’un ton déchirant :

— Que je souffre ! que je souffre !… Vous ne comprenez donc pas que vous me tuez lentement avec vos persécutions. Croyez-vous que je ne sente pas le froid de vos regards toujours attachés sur moi ? Et, chaque soir, quand vous lisez, j’entends bien que vous vous adressez à moi seule… Vous voulez que je me repente ?

— Le repentir est inutile, Dieu ne pardonne pas les crimes de la chair.

— Eh bien ! alors, laissez-moi en paix ; ne me parlez plus de votre diable et de votre Dieu ; ne me donnez plus, chaque soir, un cauchemar qui me tient haletante jusqu’au lendemain… Vous pouvez rester, cela m’est indifférent ; mais je ne veux plus vous voir, je vous supplie de vivre ailleurs, dans une autre pièce… Hier encore vous parliez