Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/258

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derrière, pendant des heures. Puis elle tombait dans des immobilités complètes, regardant la flamme. Elle devait rêver à ce froid qui la glaçait maintenant ; sa pensée à peine formée se perdait sans doute dans les gros chagrins que lui causaient ses malheurs immérités. Parfois, sans cause apparente, elle sortait brusquement de sa rêverie, elle levait la tête et regardait Guillaume en face. Elle pinçait les lèvres, elle fronçait les sourcils, examinant son père d’un air fixe, comme pour lire sur son visage ce qu’il pouvait avoir à lui reprocher. Le jeune homme croyait voir Jacques. Il quittait le coin de la cheminée, marchait fiévreusement de long en large.

Et, pendant qu’il allait et venait, il sentait les regards de l’enfant attachés sur lui. Lucie au sortir de ses longues immobilités, avait des airs de petite vieille ; sa figure pâle se ridait, devenait d’un sérieux étrange ; elle semblait songer à des choses hors de son âge. Guillaume s’imaginait qu’elle comprenait tout, qu’elle devinait ce qui l’éloignait d’elle. Ses attitudes de grande personne, ses yeux pleins de pensées tristes lui causaient une émotion indéfinissable, comme s’il se fût toujours attendu à l’entendre raisonner en femme faite et lui parler de sa ressemblance avec Jacques.

Souvent Lucie ne se contentait pas de regarder son père. Elle se levait doucement, elle s’approchait et lui tendait les bras. Alors elle répétait son mot favori : « Prends-moi, prends-moi, » d’une voix suppliante, poussée par cet irrésistible besoin de caresses qu’éprouvent parfois les enfants. Et, comme Guillaume ne se baissait pas, elle insistait, des colères nerveuses contractaient son visage. Lorsque son père avait réussi à échapper au contact de ses mains, elle allait se jeter en pleurant dans les bras de Madeleine. Celle-ci souffrait des tristesses de sa fille ; elle n’osait, quand elle la voyait songeuse, la prendre sur sa poitrine, jouer avec elle, pour la tirer de son immobilité résignée de petite martyre ; elle craignait d’irriter son mari. Mais chaque fois que l’enfant, repoussée par son