Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/300

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Le danger réveillait en elle la fille rude et pratique de l’ouvrier Férat.

Maintenant, elle avait déjà mis à exécution le commencement de son projet. Elle était seule. Huit heures sonnaient à peine. Elle comptait ne se présenter chez le jeune homme que vers midi, ce qui devait la forcer à attendre encore pendant quatre grandes heures. Mais ce retard ne l’irritait pas. Rien ne la pressait. Il n’y avait pas la moindre fièvre dans sa résolution qui était le résultat d’un raisonnement. Elle se dit qu’il faisait bon au soleil et qu’elle se promènerait jusqu’à midi. Elle entendait suivre son plan scrupuleusement, sans avancer ni retarder les faits dont elle avait fixé la marche.

Depuis des années, elle ne s’était pas trouvée ainsi, seule, à pied, sur un trottoir. Cela la reportait au temps de ses amours avec Jacques. Ayant du temps à perdre, elle se mit à regarder les étalages, d’un air curieux, allant surtout aux magasins de bijoutiers, de modistes. Elle éprouvait une sorte de bien-être à se sentir perdue dans Paris, au soleil d’avril. Quand elle arriva à la Madeleine, elle fut heureuse de voir que le marché aux fleurs se tenait ce jour-là. Elle s’approcha, elle avança à pas lents entre les deux rangées de pots et de bouquets, s’arrêtant longuement devant les touffes de roses épanouies. Quand elle fut au bout de l’allée, elle revint sur ses pas, elle s’oublia de nouveau devant chaque plante. Autour d’elle, dans la nappe jaune de soleil, s’étendaient des carrés de verdure, piqués de notes vives, rouges, violettes, bleues qui prenaient des douceurs de tapis de velours. Un parfum pénétrant flottait à ses pieds, s’élevait le long de ses jupes avec des ivresses molles ; il lui semblait que ce parfum, arrivé à la hauteur de ses lèvres, brûlait sa face doucement, comme une caresse. Pendant près de deux heures, elle resta là, allant et venant dans les senteurs fraîches, le regard perdu sur les carrés de fleurs. Peu à peu, ses joues étaient devenues roses, ses lèvres avaient eu un vague sourire. Le printemps battait dans ses veines, montait à