Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/314

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ses pieds la trace sombre que le sang de son père avait laissée. Puis il écouta. Un pressentiment l’avertissait qu’un coup suprême devait l’abattre là, au milieu de ces saletés. Cette pièce, dans laquelle personne n’était entré et qu’il retrouvait calme et sinistre, semblait l’avoir attendu pendant ses cinq années de rêves menteurs. Et maintenant, elle s’ouvrait, elle l’attirait comme une proie qui lui était sans doute promise depuis longtemps.

Dans son attente effrayée, Guillaume se rappela sa vie de souffrance, cet écrasement continu qui lui broyait la chair et l’esprit depuis sa jeunesse. Il revit une fois encore son enfance terrifiée, ses douloureuses années de collège, les derniers mois de folie et d’angoisse qu’il venait de vivre. Tout s’enchaînait, tout le poussait à quelque terrible dénouement qui devait être proche. Maintenant que les faits, dont il pouvait suivre la marche logique et implacable, le jetaient au fond de cette pièce tachée du sang de son père, il se voyait mûr pour la mort ; il devinait que le destin allait, dans une dernière brutalité, en finir avec lui.

Il y avait près d’une demi-heure qu’il écoutait, averti par une voix intérieure que quelqu’un viendrait lui porter le coup suprême, lorsqu’il entendit dans le corridor un bruit de pas. Ce fut Madeleine qui parut sur le seuil. Elle était encore enveloppée de son châle, n’ayant même pas pris le temps de retirer ses gants ni son chapeau. D’un regard rapide, elle fit le tour du laboratoire dans lequel elle n’était jamais entrée. Parfois on avait parlé devant elle de cette pièce close ; elle en connaissait la lugubre légende. Quand elle en eut aperçu la malpropreté honteuse, il lui monta aux lèvres un singulier sourire : il était digne d’elle d’en finir au milieu de cette pourriture et de cette désolation. Comme à Guillaume, il lui sembla que cette pièce l’attendait depuis des années.

Elle marcha droit à son mari.

— Je viens causer avec toi, Guillaume, dit-elle.

Elle parlait d’une voix nette et froide. Toute sa fièvre