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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/50

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MADELEINE FÉRAT

que le surlendemain, mais le mauvais temps les prit, et elles hâtèrent leur retour d’une journée. Dans un coin du wagon qui la ramenait, Madeleine rêva avec une vague tristesse au spectacle qu’elle venait d’avoir sous les yeux : les caresses de la mère, le babil de l’enfant lui avaient révélé un monde d’émotions inconnues. Elle fut prise d’une soudaine angoisse, quand elle songea qu’elle aurait pu devenir mère, elle aussi. Alors la pensée du prochain départ de l’homme avec lequel elle vivait, l’effraya, comme un malheur irréparable auquel elle n’avait jamais songé. Elle voyait sa chute, sa position fausse et douloureuse ; elle avait hâte d’arriver pour étreindre son amant, pour le prier à mains jointes de l’épouser, de ne l’abandonner jamais.

Elle arriva rue Soufflot toute fiévreuse. Elle oubliait le lien fragile, toujours prêt à se rompre, qu’elle avait accepté ; elle voulait prendre à son tour une possession entière de celui dont le souvenir la possédait pour la vie. Quand elle ouvrit la porte de la chambre de l’hôtel, elle s’arrêta stupide sur le seuil.

Son amant, courbé devant la fenêtre, bouclait une malle ; à côté de lui, se trouvaient un sac de voyage et une autre malle déjà fermée. Les vêtements de Madeleine, les objets qui lui appartenaient s’étalaient en désordre sur le lit. Le jeune homme avait reçu un ordre de départ le matin même, et il s’était empressé de faire ses apprêts, vidant les tiroirs, partageant les effets du ménage. Il voulait s’éloigner avant le retour de sa maîtresse, croyant réellement être poussé par une pensée de bonté. Une lettre d’explication aurait suffi.

Quand il se retourna et qu’il aperçut la jeune femme sur le seuil, il ne put retenir un geste de vive contrariété. Il se remit, s’avança vers elle, avec un sourire un peu contraint.

— Ma pauvre enfant, lui dit-il en l’embrassant, l’heure des adieux est venue. Je désirais partir sans te revoir. Cela nous aurait évité à tous deux une scène pénible… Tu vois, je laissais tes affaires sur le lit.