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MADELEINE FÉRAT

prêter l’oreille malgré elle. L’étudiant lui proposait carrément de se mettre en ménage avec elle, maintenant qu’elle était libre. Quand elle eut compris, elle regarda ce garçon d’un air épouvanté ; puis elle lui quitta le bras avec un geste de suprême dégoût, et courut s’enfermer dans la chambre de la rue Soufflot. Là enfin, toute seule, elle put sangloter à son aise.

Elle sanglota de honte et de désespoir. Elle était veuve, et la douleur de son abandon venait d’être salie par une proposition qui lui paraissait monstrueuse. Jamais encore elle n’avait plus cruellement compris la misère de sa position. On ne lui reconnaissait même pas le droit des larmes. On semblait croire qu’elle avait déjà pu effacer les baisers de son premier amant. Elle les sentait en elle, ces baisers ; elle se disait qu’ils la brûleraient toujours. Alors, au milieu de ses larmes, elle jura de rester veuve. Elle eut conscience de l’éternité des liens de la chair : tout nouvel amour la prostituerait et la jetterait dans des souvenirs vengeurs.

Elle ne coucha pas rue Soufflot. Elle alla habiter, le soir même, un autre hôtel, rue de l’Est. Elle y vécut pendant deux mois, farouche et solitaire. Un instant, elle avait songé à s’enfermer dans un couvent. Mais elle ne se sentait pas la foi nécessaire. En pension, on lui avait parlé de Dieu comme d’un joli jeune homme. Elle ne croyait pas à ce Dieu-là.

Ce fut à cette époque qu’elle rencontra Guillaume.