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MADELEINE FÉRAT

chair. Quand il était encore tout petit, elle le regardait fixement dans les yeux, inquiète, se demandant si elle n’allait pas trouver des clartés infernales au fond du regard pur et clair de l’innocente créature. Jamais elle ne put se persuader qu’il n’appartînt pas un peu à Satan ; mais sa tendresse, toute secouée, brutale et attendrie, n’en fut que plus poignante.

Dès qu’il fut sevré, elle renvoya la nourrice. Elle seule s’occupa de lui. M. de Viargue le lui avait abandonné, l’autorisant même, avec son ironique sourire de savant, à l’élever dans la religion qu’il lui plairait. L’espérance de sauver Guillaume du feu éternel, en en faisant un protestant zélé, redoubla le dévouement de Geneviève. Jusqu’à l’âge de huit ans, elle le garda avec elle dans l’appartement qu’elle occupait au second étage de la Noiraude.

Guillaume grandit ainsi en pleine exaltation nerveuse. Il respira, dès le berceau, l’air frissonnant, plein d’une religieuse terreur, que la vieille fanatique répandait autour d’elle. Il n’aperçut, penché sur lui, à son réveil, que ce visage de femme, ardent et muet ; il n’entendit que cette voix aiguë de chanteuse de cantiques, qui l’endormait le soir en récitant d’une façon lugubre un des sept psaumes de la pénitence. Les caresses de sa mère d’adoption le brisaient ; elle l’embrassait à l’étouffer, par secousses, avec des larmes qui le jetaient lui-même dans des crises de tendresse maladive. Il acquit fatalement une sensibilité de femme, une délicatesse de nerfs qui changeait ses moindres chagrins d’enfant en véritables souffrances. Souvent ses yeux s’emplissaient de larmes, sans motif apparent, et il pleurait pendant des heures, sans colère, comme une grande personne.

Quand il eut sept ans, Geneviève lui apprit ses lettres dans la grande Bible garnie de fer. Cette Bible, au papier jauni, à l’aspect noirâtre, le terrifiait. Il ne comprenait pas le sens des lignes qu’il épelait, mais le ton sinistre dont son institutrice prononçait les mots, le glaçait d’effroi sur sa chaise. Lorsqu’il se trouvait seul, pour rien au monde