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MADELEINE FÉRAT

dont il garda le souvenir toute sa vie. Un jour que le collége allait en promenade et passait dans une rue de la ville, il entendit ses camarades ricaner autour de lui et murmurer de leur voix méchante :

— Eh ! Bâtard, regarde donc : voici ta mère.

Il leva la tête et regarda.

Une femme suivait le trottoir, au bras d’un homme à figure molle et placide. Cette femme examina Guillaume d’un air curieux. Elle le frôla presque de ses vêtements en passant. Mais elle n’eut pas un sourire, elle pinça la bouche dans une sorte de grimace confite et rechignée. L’homme qui l’accompagnait garda sa sérénité.

Guillaume, défaillant, n’entendit pas les railleries de ses camarades qui pouffaient de rire, comme si cette rencontre eût été la drôlerie la plus réjouissante du monde. Il resta farouche et muet. Cette rapide vision venait de le glacer, et il se sentait plus misérable qu’un orphelin. Toute sa vie, quand il songea à sa mère, il évoqua l’image de cette femme passant avec une moue de dévote, au bras de son mari trompé et content.

Sa grande douleur, dans ces années mauvaises, fut de n’être aimé par personne. La tendresse farouche de Geneviève l’effrayait presque, et il trouvait bien froide l’affection muette de son père. Il se disait qu’il était seul, que pas un être n’avait pitié de lui. Courbé sous les persécutions qu’il endurait, il se repliait dans des pensées ineffables de bonté ; sa nature douce qui éprouvait de cuisants besoins de caresses, cachait soigneusement, comme un secret ridicule dont on aurait ri, les trésors d’amour qu’elle ne pouvait répandre au dehors. Il se perdait au fond du songe sans fin d’une passion imaginaire dans laquelle il se jetterait en entier, à jamais. Et il rêvait alors une solitude bénie, un coin de terre où il y avait des arbres et des eaux, où il était seul à seul en compagnie d’une chère passion ; amante ou camarade, il ne distinguait pas bien, il avait simplement un immense désir de consolation et de paix. Quand on venait de le battre,