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MADELEINE FÉRAT

si un d’eux te donne une chiquenaude, dis-le-moi, et tu verras.

À partir de ce jour, on respecta le Bâtard. Un élève s’étant permis de l’appeler de ce surnom, reçut une telle calotte que le collége entier vit qu’il n’y avait plus à plaisanter et chercha une autre victime. Guillaume fit sa seconde et sa rhétorique dans une paix profonde. Il conçut pour son protecteur une amitié ardente. Il l’aima comme on aime une première maîtresse, avec une foi absolue, un dévouement aveugle. Sa nature douce trouvait enfin une issue, ses tendresses longtemps contenues allaient toutes à ce dieu dont la main et le cœur l’avaient secouru. Son amitié était mêlée d’une reconnaissance si vive, qu’il considérait un peu Jacques comme un être supérieur. Il ne savait comment payer sa dette, il restait humble et caressant devant lui. Il l’admirait jusque dans ses moindres gestes ; ce grand garçon, énergique, bruyant, lui causait une sorte de respect, lorsqu’il le comparaît à sa nature chétive et timide. Ses allures dégagées, les récits qu’il lui faisait de sa vie à Paris, le persuadaient qu’il avait pour ami un homme extraordinaire auquel étaient réservées les destinées les plus hautes. Et il y avait ainsi, dans son affection, un singulier mélange d’admiration, d’humilité et d’amour, qui lui laissa toujours pour Jacques une sorte de sentiment tendre et respectueux à la fois.

Celui-ci accepta en bon enfant l’adoration de son protégé. Il aimait à montrer sa force et à être flatté. D’ailleurs, il fut séduit par les caresses dévouées de cette nature faible et fière, qui écrasait les autres élèves de son mépris. Pendant les deux années qu’ils restèrent ensemble au collége, ils furent inséparables.

Quand ils eurent terminé leur rhétorique, Jacques partit pour Paris où il devait suivre les cours de l’École de médecine. Guillaume, resté seul à Véteuil, demeura longtemps inconsolable du départ de son ami. Il était tombé dans une oisiveté complète, vivant à la Noiraude