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MADELEINE FÉRAT

ne l’avait-il pas dit lui-même ? la mémoire de Jacques vivait en lui, et il fallait qu’elle y vécût haute et sereine. Une confession souillerait à jamais cette mémoire. Ce serait une mauvaise action que de parler. Lorsque la jeune femme se fut juré de rester muette, il lui sembla que le portrait la remerciait de ce serment.

Elle baisa l’image.

Le jour se levait lorsqu’elle vint se remettre au lit. Guillaume, accablé, dormait toujours. Elle finit par s’assoupir, apaisée, bercée par un lointain espoir. Ils oublieraient cette journée d’angoisse, ils retrouveraient leur chère paix, leurs chères amours.

Mais leur rêve était fini. Jamais le calme des premières heures ne devait plus les assoupir dans leur retraite de la rue de Boulogne. Pendant les jours qui suivirent, le fantôme lamentable du naufragé habita le pavillon, mettant autour d’eux une tristesse lourde. Ils oubliaient leurs baisers, ils restaient des matinées entières côte à côte, sans presque parler, tout à leurs tristes souvenirs. La mort de Jacques avait passé dans leur tiède solitude comme un souffle glacial ; maintenant ils frissonnaient, il leur semblait que les pièces étroites où ils vivaient la veille sur les genoux l’un de l’autre, étaient grandes, délabrées, ouvertes à tous les vents. Le silence, l’ombre qu’ils avaient ardemment cherchés, leur causaient un vague sentiment de terreur. Ils se trouvaient trop seuls. Un jour, Guillaume ne put retenir une parole cruelle.

— Ce pavillon a vraiment l’air d’une tombe, s’écria-t-il ; on y étouffe.

Il se repentit aussitôt, et, prenant la main de Madeleine :

— Pardonne-moi, ajouta-t-il, j’oublierai, je te reviendrai.

Il était de bonne foi, il ne savait pas que l’on fait rarement deux fois le même songe. Quand ils sortirent de leur accablement, ils avaient perdu leur confiance aveugle des premiers jours. Madeleine surtout s’éveilla toute