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MADELEINE FÉRAT

consoler en se montrant plus tendre, et, malgré lui, il devenait plus inquiet, plus fiévreux chaque jour. Pourquoi pleurait-elle ainsi ? Se trouvait-elle malheureuse avec lui ? Regrettait-elle un amant ? Cette dernière supposition le rendait très-malheureux. Lui aussi perdait la foi, l’aveuglement de bonheur des premiers jours. Il songeait à ce passé de Madeleine qu’il ne connaissait pas, qu’il ne voulait pas connaître, et auquel cependant il ne pouvait s’empêcher de penser sans cesse. Les doutes cuisants qu’il avait eus le soir de leur promenade à Verrières, le reprenaient et le torturaient. Il s’inquiétait des années mortes, il épiait la jeune femme pour lire un aveu dans ses gestes, dans ses regards ; puis, lorsqu’il croyait surprendre en elle une pensée qui lui était étrangère, il se désolait de ne pas lui suffire. Maintenant qu’elle lui appartenait, elle devait être toute à lui. Il se disait qu’il l’aimait assez pour qu’elle se contentât de son amour. Il n’admettait pas ses rêveries, se sentait cruellement blessé par ses indifférences passagères. Souvent, quand il était auprès d’elle, elle ne l’écoutait plus, elle le laissait parler seul, regardant vaguement devant elle, perdue dans de secrètes pensées ; alors il se taisait, il se croyait méconnu, et des fiertés subites changeaient presque son amour en mépris. « Mon cœur s’est trompé, songeait-il ; cette femme n’est pas digne de moi ; elle a déjà trop vécu pour savoir me récompenser de mon affection. »

Ils n’en arrivèrent jamais à de véritables querelles. Ils restèrent dans un état de guerre tacite. Mais les quelques mots amers qu’ils échangeaient parfois, ne les en laissaient pas moins abattus et désespérés.

— Tu as les yeux rouges, disait souvent Guillaume à Madeleine, pourquoi pleures-tu en cachette ?

— Je ne pleure pas, tu te trompes, lui répondait la jeune femme en essayant de sourire.

— Non, non, je ne me trompe pas, reprenait-il, je t’entends bien quelquefois la nuit. Te trouves-tu malheureuse avec moi ?