Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sait ; c’était une mère qui se battait comme une louve, pour défendre les trois ou quatre bouchées réservées à son enfant. Dans mon wagon, deux jeunes mariés râlaient aux bras l’un de l’autre, et ils n’espéraient plus, ils ne bougeaient plus. D’ailleurs, la voie était libre, les gens descendaient, rôdaient le long du train, comme des bêtes lâchées, en quête d’une proie. Toutes les classes se mêlaient, un homme très riche, un haut fonctionnaire, disait-on, pleurait au cou d’un ouvrier, en le tutoyant. Dès les premières heures, les lampes s’étaient épuisées, les feux de la locomotive avaient fini par s’éteindre. Quand on passait d’un wagon à un autre, on tâtait les roues de la main pour ne pas se cogner, et l’on arrivait ainsi à la locomotive, que l’on reconnaissait à sa bielle froide, à ses énormes flancs endormis, force inutile, muette et immobile dans l’ombre. Rien n’était plus effrayant que ce train, ainsi muré tout entier sous terre, comme enterré vivant, avec ses voyageurs, qui mouraient un à un.

Je me complaisais, je descendais dans l’horreur des moindres détails. Des hurlements traversaient les ténèbres. Tout d’un coup, un voisin qu’on ne savait pas là, qu’on ne voyait pas, s’abattait contre