Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chais dans un rêve, je ne saurais dire combien d’heures je l’ai suivie de la sorte, étourdi par les paroles de Gaucheraud, aveuglé par les lieues de peinture qui se déroulaient à droite et à gauche. J’ai seulement conscience que, vers la fin, on mâchait de la poussière dans les salles, et que je ressentais une horrible fatigue, tandis que les femmes tenaient bon, souriantes.

À six heures, Félix m’a emmené dîner. Puis, au dessert :

— Je te remercie, m’a-t-il dit tout d’un coup.

— De quoi donc ? ai-je demandé, très surpris.

— Mais de ta délicatesse à ne pas faire la cour à madame Gaucheraud. Alors, tu préfères les brunes ?

Je n’ai pu m’empêcher de rougir. Il s’est hâté d’ajouter :

— Je ne veux pas de tes confidences. Au contraire, tu as dû remarquer que je m’abstenais d’intervenir. J’estime qu’il faut faire seul son apprentissage de la vie.

Il ne riait plus, il était sérieux et amical.

— Alors, tu crois qu’elle pourra m’aimer ? ai-je dit, sans oser nommer Louise.

— Moi ! a-t-il répondu, je n’en sais rien du tout. Fais ce qu’il te plaira. Tu verras bien de quelle manière tourneront les choses.