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Page:Zola - Naïs Micoulin, 1884.djvu/295

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le même ton sourd et fortement rythmé. Ces grosses voix, ronflant au fond du crépuscule, prenaient à la longue un charme barbare. Estelle, assise sur la plage, ayant à ses pieds Hector, écoutait, se perdait bientôt dans une rêverie. La mer montait, avec un large bruit de caresse. On aurait dit une voix de passion, quand la vague battait le sable ; puis, cette voix s’apaisait tout d’un coup, et le cri se mourait avec l’eau qui se retirait, dans un murmure plaintif d’amour dompté. La jeune femme rêvait d’être aimée ainsi, par un géant dont elle aurait fait un petit garçon.

— Tu dois t’ennuyer à Piriac, ma bonne, demandait parfois M. Chabre à sa femme.

Et elle se hâtait de répondre :

— Mais non, mon ami, je t’assure.

Elle s’amusait, dans ce trou perdu. Les oies, les cochons, les sardines, prenaient une importance extrême. Le petit cimetière était très gai. Cette vie endormie, cette solitude peuplée seulement de l’épicier de Nantes et du notaire sourd de Guérande, lui semblait plus tumultueuse que l’existence bruyante des plages à la mode. Au bout de quinze jours, M. Chabre, qui s’ennuyait à mourir, voulut rentrer à Paris. L’effet des co-