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LES ROUGON-MACQUART

hommes tiraient leurs montres, des retardataires sautaient de leurs voitures avant qu’elles fussent arrêtées, des groupes quittaient le trottoir, où les promeneurs, lentement, traversaient la nappe de gaz restée vide, en allongeant le cou pour voir dans le théâtre. Un gamin qui arrivait en sifflant se planta devant une affiche, à la porte ; puis, il cria : « Ohé, nana ! » d’une voix de rogomme, et poursuivit son chemin, déhanché, traînant ses savates. Un rire avait couru. Des messieurs très bien répétèrent : « Nana, ohé ! Nana ! » On s’écrasait, une querelle éclatait au contrôle, une clameur grandissait, faite du bourdonnement des voix appelant Nana, exigeant Nana, dans un de ces coups d’esprit bête et de brutale sensualité qui passent sur les foules.

Mais, au-dessus du vacarme, la sonnette de l’entracte se fit entendre. Une rumeur gagna jusqu’au boulevard : « On a sonné, on a sonné » ; et ce fut une bousculade, chacun voulait passer, tandis que les employés du contrôle se multipliaient. Mignon, l’air inquiet, reprit enfin Steiner, qui n’était pas allé voir le costume de Rose. Au premier tintement, la Faloise avait fendu la foule, en entraînant Fauchery, pour ne pas manquer l’ouverture. Cet empressement du public irrita Lucy Stewart. En voilà de grossiers personnages, qui poussaient les femmes ! Elle resta la dernière, avec Caroline Héquet et sa mère. Le vestibule était vide ; au fond, le boulevard gardait son ronflement prolongé.

— Comme si c’était toujours drôle, leurs pièces ! répétait Lucy, en montant l’escalier.

Dans la salle, Fauchery et la Faloise, devant leurs fauteuils, regardaient de nouveau. Maintenant, la salle resplendissait. De hautes flammes de gaz allumaient le grand lustre de cristal d’un ruissellement