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NANA

Son Altesse de l’autre côté du décor, et toute cette salle qui pouvait entendre ! Pour comble d’ennui, Rose Mignon arrivait, essoufflée, juste à la minute de son entrée en scène. Vulcain lui jetait sa réplique. Mais Rose resta stupéfaite, en voyant à ses pieds son mari et son amant qui se vautraient, s’étranglant, ruant, les cheveux arrachés, la redingote blanche de poussière. Ils lui barraient le passage ; même un machiniste avait arrêté le chapeau de Fauchery, au moment où ce diable de chapeau, dans la lutte, allait rebondir sur la scène. Cependant, Vulcain, qui inventait des phrases pour amuser le public, donnait de nouveau la réplique. Rose, immobile, regardait toujours les deux hommes.

— Mais ne regarde donc pas ! lui souffla furieusement Bordenave dans le cou. Va donc ! va donc !… Ce n’est pas ton affaire ! Tu manques ton entrée !

Et, poussée par lui, Rose, enjambant les corps, se trouva en scène, dans le flamboiement de la rampe, devant le public. Elle n’avait pas compris pourquoi ils étaient par terre, à se battre. Tremblante, la tête emplie d’un bourdonnement, elle descendit vers la rampe avec son beau sourire de Diane amoureuse, et elle attaqua la première phrase de son duo, d’une voix si chaude, que le public lui fit une ovation. Derrière le décor, elle entendait les coups sourds des deux hommes. Ils avaient roulé jusqu’au manteau d’arlequin. Heureusement, la musique couvrait le bruit des ruades qu’ils donnaient dans les châssis.

— Nom de Dieu ! cria Bordenave exaspéré, lorsqu’il eut enfin réussi à les séparer, est-ce que vous ne pourriez pas vous battre chez vous ? Vous savez pourtant bien que je n’aime pas ça… Toi, Mignon, tu vas me faire le plaisir de rester ici, côté cour ; et vous, Fauchery, je vous flanque à la porte du théâtre, si vous