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Page:Zola - Nana.djvu/18

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LES ROUGON-MACQUART

elle jetait les mains en avant, dans un balancement de tout son corps, qu’on trouva peu convenable et disgracieux. Des oh ! oh ! s’élevaient déjà du parterre et des petites places, on sifflotait, lorsqu’une voix de jeune coq en train de muer, aux fauteuils d’orchestre, lança avec conviction :

— Très chic !

Toute la salle regarda. C’était le chérubin, l’échappé de collège, ses beaux yeux écarquillés, sa face blonde enflammée par la vue de Nana. Quand il vit le monde se tourner vers lui, il devint très rouge d’avoir ainsi parlé haut, sans le vouloir. Daguenet, son voisin, l’examinait avec un sourire, le public riait, comme désarmé et ne songeant plus à siffler ; tandis que les jeunes messieurs en gants blancs, empoignés eux aussi par le galbe de Nana, se pâmaient, applaudissaient.

— C’est ça, très bien ! bravo !

Nana, cependant, en voyant rire la salle, s’était mise à rire. La gaieté redoubla. Elle était drôle tout de même, cette belle fille. Son rire lui creusait un amour de petit trou dans le menton. Elle attendait, pas gênée, familière, entrant tout de suite de plain-pied avec le public, ayant l’air de dire elle-même d’un clignement d’yeux qu’elle n’avait pas de talent pour deux liards, mais que ça ne faisait rien, qu’elle avait autre chose. Et, après avoir adressé au chef d’orchestre un geste qui signifiait : « Allons-y, mon bonhomme ! » elle commença le second couplet :

À minuit, c’est Vénus qui passe…

C’était toujours la même voix vinaigrée, mais à présent elle grattait si bien le public au bon endroit, qu’elle lui tirait par moments un léger frisson. Nana