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NANA

Puis, elle reprit :

— Vous ne savez pas, il paraît que la propriétaire du château de Chamont est une ancienne du temps de Napoléon… Oh ! une noceuse, m’a dit Joseph qui le tient des domestiques de l’évêché, une noceuse comme il n’y en a plus. Maintenant, elle est dans les curés.

— Elle s’appelle ? demanda Lucy.

— Madame d’Anglars.

— Irma d’Anglars, je l’ai connue ! cria Gaga.

Ce fut, le long des voitures, une suite d’exclamations, emportées dans le trot plus vif des chevaux. Des têtes s’allongeaient pour voir Gaga ; Maria Blond et Tatan Néné se tournèrent, à genoux sur la banquette, les poings dans la capote renversée ; et des questions se croisaient, avec des mots méchants, que tempérait une sourde admiration. Gaga l’avait connue, ça les frappait toutes de respect pour ce passé lointain.

— Par exemple, j’étais jeune, reprit Gaga. N’importe, je me souviens, je la voyais passer… On la disait dégoûtante chez elle. Mais, dans sa voiture, elle vous avait un chic ! Et des histoires épatantes, des saletés et des roublardises à crever… Ça ne m’étonne pas, si elle a un château. Elle vous nettoyait un homme, rien qu’à souffler dessus… Ah ! Irma d’Anglars vit encore ! Eh bien ! mes petites chattes, elle doit aller dans les quatre-vingt-dix ans.

Du coup, ces dames devinrent sérieuses. Quatre-vingt-dix ans ! Il n’y en avait pas une d’elles, comme le cria Lucy, fichue de vivre jusque-là. Toutes des patraques. D’ailleurs, Nana déclara qu’elle ne voulait pas faire de vieux os ; c’était plus drôle. On arrivait, la conversation fut coupée par les claquements de fouet des cochers, qui lançaient leurs bêtes. Pour-