Page:Zola - Nana.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LES ROUGON-MACQUART

voyait leurs chignons. Au fond, devant le buffet, un homme à gros ventre buvait un verre de sirop.

Mais Fauchery, pour respirer, était allé sur le balcon. La Faloise, qui étudiait des photographies d’actrices, dans des cadres alternant avec les glaces, entre les colonnes, finit par le suivre. On venait d’éteindre la rampe de gaz, au fronton du théâtre. Il faisait noir et très frais sur le balcon, qui leur sembla vide. Seul, un jeune homme, enveloppé d’ombre, accoudé à la balustrade de pierre, dans la baie de droite, fumait une cigarette, dont la braise luisait. Fauchery reconnut Daguenet. Ils se serrèrent la main.

— Que faites-vous donc là, mon cher ? demanda le journaliste. Vous vous cachez dans les petits coins, vous qui ne quittez pas l’orchestre, les jours de première.

— Mais je fume, vous voyez, répondit Daguenet.

Alors, Fauchery, pour l’embarrasser :

— Eh bien ! que pensez-vous de la débutante ?… On la traite assez mal dans les couloirs.

— Oh ! murmura Daguenet, des hommes dont elle n’aura pas voulu !

Ce fut tout son jugement sur le talent de Nana. La Faloise se penchait, regardant le boulevard. En face, les fenêtres d’un hôtel et d’un cercle étaient vivement éclairées ; tandis que, sur le trottoir, une masse noire de consommateurs occupaient les tables du café de Madrid. Malgré l’heure avancée, la foule s’écrasait ; on marchait à petits pas, du monde sortait continuellement du passage Jouffroy, des gens attendaient cinq minutes avant de pouvoir traverser, tant la queue des voitures s’allongeait.

— Quel mouvement ! quel bruit ! répétait la Faloise, que Paris étonnait encore.

Une sonnerie tinta longuement, le foyer se vida.