Page:Zola - Nana.djvu/246

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pas, ne l’entendait pas. Tout en piétinant, il avait remis ses bottines et sa redingote. Un moment encore, il battit la pièce. Puis, dans un dernier élan, comme s’il trouvait enfin la porte, il se sauva. Nana fut très vexée.

— Eh bien ! bon voyage ! continua-t-elle tout haut, quoique seule. Il est encore poli, celui-là, quand on lui parle !… Et moi qui m’escrimais ! Je suis revenue la première, j’ai assez fait d’excuses, je crois !… Aussi, il était là, à m’agacer !

Pourtant, elle restait mécontente, se grattant les jambes à deux mains. Mais elle en prit son parti.

— Ah ! zut ! Ce n’est pas ma faute, s’il est cocu !

Et, cuite de tous les côtés, chaude comme une caille, elle alla se fourrer dans son lit, en sonnant Zoé, pour qu’elle fît entrer l’autre, qui attendait à la cuisine.

Dehors, Muffat marcha violemment. Une nouvelle averse venait de tomber. Il glissait sur le pavé gras. Comme il regardait en l’air, d’un mouvement machinal, il vit des haillons de nuages, couleur de suie, qui couraient devant la lune. À cette heure, sur le boulevard Haussmann, les passants se faisaient rares. Il longea les chantiers de l’Opéra, cherchant le noir, bégayant des mots sans suite. Cette fille mentait. Elle avait inventé ça par bêtise et cruauté. Il aurait dû lui écraser la tête, lorsqu’il la tenait sous son talon. À la fin, c’était trop de honte, jamais il ne la reverrait, jamais il ne la toucherait ; ou il faudrait qu’il fût bien lâche. Et il respirait fortement, d’un air de délivrance. Ah ! ce monstre nu, stupide, cuisant comme une oie, bavant sur tout ce qu’il respectait depuis quarante années ! La lune s’était découverte, une nappe blanche baigna la rue déserte. Il eut peur et il éclata en sanglots, tout d’un coup