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NANA

heures de bouderie muette. Par un besoin de parler de ça, Nana en était arrivée à lui conter toutes les claques qu’elle recevait ; la semaine passée, il lui avait fait enfler l’œil ; la veille encore, à propos de ses pantoufles qu’il ne trouvait pas, il l’avait jetée d’une calotte dans la table de nuit ; et l’autre ne s’étonnait point, soufflant la fumée de sa cigarette, s’interrompant seulement pour dire que, elle, toujours se baissait, ce qui envoyait promener le monsieur avec sa gifle. Toutes deux se tassaient dans ces histoires de coups, heureuses, étourdies des mêmes faits imbéciles cent fois répétés, cédant à la molle et chaude lassitude des roulées indignes dont elles parlaient. C’était cette joie de remâcher les claques de Fontan, d’expliquer Fontan jusque dans sa façon d’ôter ses bottes, qui ramenait chaque jour Nana, d’autant plus que Satin finissait par sympathiser : elle citait des faits plus forts, un pâtissier qui la laissait par terre, morte, et qu’elle aimait quand même. Puis, venaient les jours où Nana pleurait, en déclarant que ça ne pouvait pas continuer. Satin l’accompagnait jusqu’à sa porte, restait une heure dans la rue, pour voir s’il ne l’assassinait pas. Et, le lendemain, les deux femmes jouissaient toute l’après-midi de la réconciliation, préférant pourtant, sans le dire, les jours où il y avait des raclées dans l’air, parce que ça les passionnait davantage.

Elles devinrent inséparables. Pourtant, Satin n’allait jamais chez Nana, Fontan ayant déclaré qu’il ne voulait pas de traînée dans la maison. Elles sortaient ensemble, et c’est ainsi que Satin mena un jour son amie chez une femme, justement cette madame Robert qui préoccupait Nana et lui causait un certain respect, depuis qu’elle avait refusé de venir à son souper. Madame Robert demeurait rue Mosnier, une