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NANA

à fait une dame du monde, avec plus de retenue.

— C’est drôle, murmura-t-elle enfin, j’ai certainement vu cette tête-là quelque part. Où ? je ne sais plus. Mais ça ne devait pas être dans un endroit propre… Oh ! non, bien sûr, ce n’était pas un endroit propre.

Et elle ajouta, en se tournant vers son amie :

— Alors, elle t’a fait promettre de venir la voir. Que te veut-elle ?

— Ce qu’elle me veut ? Pardi ! causer sans doute, rester un moment ensemble… C’est de la politesse.

Nana regardait Satin fixement ; puis, elle eut un léger claquement de langue. Enfin, ça lui était égal. Mais, comme cette dame les faisait poser, elle déclara qu’elle n’attendrait pas davantage ; et toutes deux partirent.

Le lendemain, Fontan ayant averti Nana qu’il ne rentrerait pas dîner, elle descendit de bonne heure chercher Satin, pour lui payer un régal dans un restaurant. Le choix du restaurant fut une grosse question. Satin proposait des brasseries que Nana trouvait infectes. Enfin, elle la décida à manger chez Laure. C’était une table d’hôte, rue des Martyrs, où le dîner coûtait trois francs.

Ennuyées d’attendre l’heure, ne sachant que faire sur les trottoirs, elles montèrent chez Laure vingt minutes trop tôt. Les trois salons étaient encore vides. Elles se placèrent à une table, dans le salon même où Laure Piedefer trônait, sur la haute banquette d’un comptoir. Cette Laure était une dame de cinquante ans, aux formes débordantes, sanglée dans des ceintures et des corsets. Des femmes arrivaient à la file, se haussaient par-dessus les soucoupes, et baisaient Laure sur la bouche, avec une familiarité tendre ; pendant que ce monstre, les yeux mouillés, tâchait, en se partageant, de ne pas faire de jalouses.