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Page:Zola - Nana.djvu/304

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LES ROUGON-MACQUART

Puis, comme on cognait à la porte, elle fut bonne fille, repoussant la fenêtre, jetant les vêtements de son amie au fond d’une armoire. Déjà elle s’était résignée, en se disant qu’après tout, si on la mettait en carte, elle n’aurait plus cette bête de peur. Elle joua la femme écrasée de sommeil, bâilla, parlementa, finit par ouvrir à un grand gaillard, la barbe sale, qui lui dit :

— Montrez vos mains… Vous n’avez pas de piqûres, vous ne travaillez pas. Allons, habillez-vous.

— Mais je ne suis pas couturière, je suis brunisseuse, déclara Satin avec effronterie.

D’ailleurs, elle s’habilla docilement, sachant qu’il n’y avait pas de discussion possible. Des cris s’élevaient dans l’hôtel, une fille se cramponnait aux portes, refusant de marcher ; une autre, qui était couchée avec un amant, et dont celui-ci répondait, faisait la femme honnête outragée, parlait d’intenter un procès au préfet de police. Pendant près d’une heure, ce fut un bruit de gros souliers sur les marches, des portes ébranlées à coups de poing, des querelles aiguës s’étouffant dans des sanglots, des glissements de jupes frôlant les murs, tout le réveil brusque et le départ effaré d’un troupeau de femmes, brutalement emballées par trois agents, sous la conduite d’un petit commissaire blond, très poli. Puis, l’hôtel retomba à un grand silence.

Personne ne l’avait vendue, Nana était sauvée. Elle rentra à tâtons dans la chambre, grelottante, morte de peur. Ses pieds nus saignaient, déchirés par le grillage. Longtemps, elle resta assise au bord du lit, écoutant toujours. Vers le matin, pourtant, elle s’endormit. Mais, à huit heures, lorsqu’elle s’éveilla, elle se sauva de l’hôtel et courut chez sa tante. Quand madame Lerat, qui justement prenait son café au