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LES ROUGON-MACQUART

crochés au passage, les lisaient ; d’autres, debout, causaient, barrant les portes ; tandis que, près du bureau de location, un homme épais, à large face rasée, répondait brutalement aux personnes qui insistaient pour avoir des places.

— Voilà Bordenave, dit Fauchery, en descendant l’escalier.

Mais le directeur l’avait aperçu.

— Eh ! vous êtes gentil ! lui cria-t-il de loin. C’est comme ça que vous m’avez fait une chronique… J’ai ouvert ce matin le Figaro. Rien.

— Attendez donc ! répondit Fauchery. Il faut bien que je connaisse votre Nana, avant de parler d’elle… Je n’ai rien promis, d’ailleurs.

Puis, pour couper court, il présenta son cousin, M. Hector de la Faloise, un jeune homme qui venait achever son éducation à Paris. Le directeur pesa le jeune homme d’un coup d’œil. Mais Hector l’examinait avec émotion. C’était donc là ce Bordenave, ce montreur de femmes qui les traitait en garde-chiourme, ce cerveau toujours fumant de quelque réclame, criant, crachant, se tapant sur les cuisses, cynique, et ayant un esprit de gendarme ! Hector crut qu’il devait chercher une phrase aimable.

— Votre théâtre…, commença-t-il d’une voix flûtée.

Bordenave l’interrompit tranquillement, d’un mot cru, en homme qui aime les situations franches.

— Dites mon bordel.

Alors, Fauchery eut un rire approbatif, tandis que la Faloise restait avec son compliment étranglé dans la gorge, très choqué, essayant de paraître goûter le mot. Le directeur s’était précipité pour donner une poignée de main à un critique dramatique, dont le feuilleton avait une grande influence.