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LES ROUGON-MACQUART

À la montée, Valerio II prit la tête, Cosinus et Hasard perdaient du terrain, tandis que Lusignan et Spirit, nez contre nez, avaient toujours Nana derrière eux.

— Pardieu ! l’Anglais a gagné, c’est visible, dit Bordenave. Lusignan se fatigue et Valerio II ne peut tenir.

— Eh bien ! c’est du propre, si l’Anglais gagne ! s’écria Philippe, dans un élan de douleur patriotique.

C’était un sentiment d’angoisse qui commençait à étrangler tout ce monde entassé. Encore une défaite ! et une ardeur de vœu extraordinaire, presque religieuse, montait pour Lusignan ; pendant qu’on injuriait Spirit, avec son jockey d’une gaieté de croquemort. Parmi la foule éparse dans l’herbe, un souffle enlevait des bandes, les semelles en l’air. Des cavaliers coupaient la pelouse d’un galop furieux. Et Nana, qui tournait lentement sur elle-même, voyait à ses pieds cette houle de bêtes et de gens, cette mer de têtes battue et comme emportée autour de la piste par le tourbillon de la course, rayant l’horizon du vif éclair des jockeys. Elle les avait suivis de dos, dans la fuite des croupes, dans la vitesse allongée des jambes, qui se perdaient et prenaient des finesses de cheveux. Maintenant, au fond, ils filaient de profil, tout petits, délicats, sur les lointains verdâtres du Bois. Puis, brusquement, ils disparurent, derrière un grand bouquet d’arbres, plantés au milieu de l’hippodrome.

— Laissez donc ! cria Georges, toujours plein d’espoir. Ce n’est pas fini… L’Anglais est touché.

Mais la Faloise, repris de son dédain national, devenait scandaleux, en acclamant Spirit. Bravo ! c’était bien fait ! la France avait besoin de ça ! Spirit premier, et Frangipane second ! ça embêterait sa