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LES ROUGON-MACQUART


Et grise, en effet, grise de joie, grise de soleil, le verre toujours levé, elle s’acclama elle-même.

— À Nana ! à Nana ! criait-elle, au milieu d’un redoublement de vacarme, de rires, de bravos, qui peu à peu avait gagné tout l’Hippodrome.

Les courses s’achevaient, on courait le Prix Vaublanc. Des voitures partaient, une à une. Cependant, le nom de Vandeuvres revenait, au milieu de querelles. Maintenant, c’était clair : Vandeuvres, depuis deux ans, ménageait son coup, en chargeant Gresham de retenir Nana ; et il n’avait produit Lusignan que pour faire le jeu de la pouliche. Les perdants se fâchaient, tandis que les gagnants haussaient les épaules. Après ? n’était-ce pas permis ? Un propriétaire conduisait son écurie comme il l’entendait. On en avait vu bien d’autres ! Le plus grand nombre trouvait Vandeuvres très fort d’avoir fait ramasser par des amis tout ce qu’il avait pu prendre sur Nana, ce qui expliquait la hausse brusque de la cote ; on parlait de deux mille louis, à trente en moyenne, douze cent mille francs de gain, un chiffre dont l’ampleur frappait de respect et excusait tout.

Mais d’autres bruits, très graves, qu’on chuchotait, arrivaient de l’enceinte du pesage. Les hommes qui en revenaient précisaient des détails ; les voix montaient, on racontait tout haut un scandale affreux. Ce pauvre Vandeuvres était fini ; il avait gâté son coup superbe par une plate bêtise, un vol idiot, en chargeant Maréchal, un bookmaker véreux, de donner pour son compte deux mille louis contre Lusignan, histoire de rattraper ses mille et quelques louis ouvertement pariés, une misère ; et cela prouvait la fêlure, au milieu du dernier craquement de sa fortune. Le bookmaker, prévenu que le favori ne gagnerait pas, avait réalisé une soixantaine de mille