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NANA

pliques de cristal allumaient là un luxe de glaces et de meubles précieux. On eût dit que la chaise longue de Sabine, ce siège unique de soie rouge, dont la mollesse autrefois étonnait, s’était multipliée, élargie, jusqu’à emplir l’hôtel entier d’une voluptueuse paresse, d’une jouissance aiguë, qui brûlait avec la violence des feux tardifs.

Déjà l’on dansait. L’orchestre, placé dans le jardin, devant une des fenêtres ouvertes, jouait une valse, dont le rythme souple arrivait adouci, envolé au plein air. Et le jardin s’élargissait, dans une ombre transparente, éclairé de lanternes vénitiennes, avec une tente de pourpre plantée sur le bord d’une pelouse, où était installé un buffet. Cette valse, justement la valse canaille de la Blonde Vénus, qui avait le rire d’une polissonnerie, pénétrait le vieil hôtel d’une onde sonore, d’un frisson chauffant les murs. Il semblait que ce fût quelque vent de la chair, venu de la rue, balayant tout un âge mort dans la hautaine demeure, emportant le passé des Muffat, un siècle d’honneur et de foi endormi sous les plafonds.

Cependant, près de la cheminée, à leur place habituelle, les vieux amis de la mère du comte se réfugiaient, dépaysés, éblouis. Ils formaient un petit groupe, au milieu de la cohue peu à peu envahissante. Madame Du Joncquoy, ne reconnaissant plus les pièces, avait traversé la salle à manger. Madame Chantereau regardait d’un air stupéfait le jardin, qui lui paraissait immense. Bientôt, à voix basse, ce fut dans ce coin toute sortes de réflexions amères.

— Dites donc, murmurait madame Chantereau, si la comtesse revenait… Hein ? vous imaginez-vous son entrée, au milieu de ce monde. Et tout cet or, et ce vacarme… C’est scandaleux !