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LES ROUGON-MACQUART

Peu à peu, on envahissait le buffet. Ils cédèrent la place, sans se quitter. La Faloise regardait les femmes effrontément, comme s’il s’était cru à Mabille. Au fond d’une allée, ce fut une surprise, la bande trouva M. Venot en grande conférence avec Daguenet ; et des plaisanteries faciles les égayèrent, il le confessait, il lui donnait des conseils pour la première nuit. Puis, ils revinrent devant une des portes du salon, où une polka emportait des couples, dans un balancement qui mettait un sillage au milieu des hommes restés debout. Sous les souffles venus du dehors, les bougies brûlaient très hautes. Quand une robe passait, avec les légers claquements de la cadence, elle rafraîchissait d’un petit coup de vent la chaleur braisillante tombant des lustres.

— Fichtre ! ils n’ont pas froid, là-dedans ! murmura la Faloise.

Leurs yeux clignaient, au retour des ombres mystérieuses du jardin ; et ils se montrèrent le marquis de Chouard, isolé, dominant de sa haute taille les épaules nues qui l’entouraient. Il avait une face pâle, très sévère, un air de hautaine dignité, sous sa couronne de rares cheveux blancs. Scandalisé par la conduite du comte Muffat, il venait de rompre publiquement, il affectait de ne plus mettre les pieds dans l’hôtel. S’il avait consenti à y paraître, ce soir-là, c’était sur les instances de sa petite-fille, dont il désapprouvait d’ailleurs le mariage, avec des paroles indignées contre la désorganisation des classes dirigeantes par les honteux compromis de la débauche moderne.

— Ah ! c’est la fin, disait près de la cheminée madame Du Joncquoy à l’oreille de madame Chantereau. Cette fille a ensorcelé ce malheureux… Nous qui l’avons connu si croyant, si noble !