Page:Zola - Nana.djvu/455

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
455
NANA

ter vingt pour lui ; Charles mangeait l’avoine des chevaux, doublant les fournitures, revendant par une porte de derrière ce qui entrait par la grande porte ; tandis que, au milieu de ce pillage général, de ce sac de ville emportée d’assaut, Zoé, à force d’art, parvenait à sauver les apparences, couvrait les vols de tous pour mieux y confondre et sauver les siens. Mais ce qu’on perdait était pis encore, la nourriture de la veille jetée à la borne, un encombrement de provisions dont les domestiques se dégoûtaient, le sucre empoissant les verres, le gaz brûlant à pleins becs, jusqu’à faire sauter les murs ; et des négligences, et des méchancetés, et des accidents, tout ce qui peut hâter la ruine, dans une maison dévorée par tant de bouches. Puis, en haut, chez madame, la débâcle soufflait plus fort : des robes de dix mille francs, mises deux fois, vendues par Zoé ; des bijoux qui disparaissaient, comme émiettés au fond des tiroirs ; des achats bêtes, les nouveautés du jour, oubliées le lendemain dans les coins, balayées à la rue. Elle ne pouvait voir quelque chose de très cher sans en avoir envie, elle faisait ainsi autour d’elle un continuel désastre de fleurs, de bibelots précieux, d’autant plus heureuse que son caprice d’une heure coûtait davantage. Rien ne lui restait aux mains ; elle cassait tout, ça se fanait, ça se salissait entre ses petits doigts blancs ; une jonchée de débris sans nom, de lambeaux tordus, de loques boueuses, la suivait et marquait son passage. Ensuite éclataient les gros règlements, au milieu de ce gâchis de l’argent de poche : vingt mille francs chez la modiste, trente mille chez la lingère, douze mille chez le bottier ; son écurie lui en mangeait cinquante mille ; en six mois, elle eut chez son couturier une note de cent vingt mille francs. Sans qu’elle eût augmenté son train, estimé par La-