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LES ROUGON-MACQUART


Comme il pâlissait, elle se pendit à son cou, en riant, en lui enfonçant d’une caresse chacune de ses cruautés.

— N’est-ce pas ? c’est ça qui te chiffonne, toi ! tu ne peux plus épouser Nana… Quand ils sont tous à m’embêter avec leur mariage, tu rages dans ton coin… Pas possible, il faut attendre que ta femme claque… Ah ! si ta femme claquait, comme tu viendrais vite, comme tu te jetterais par terre, comme tu m’offrirais ça, avec le grand jeu, les soupirs, les larmes, les serments ! Hein ? chéri, ce serait si bon !

Elle avait pris une voix douce, elle le blaguait d’un air de câlinerie féroce. Lui, très ému, se mit à rougir, en lui rendant ses baisers. Alors, elle cria :

— Nom de Dieu ! dire que j’ai deviné ! Il y a songé, il attend que sa femme crève… Ah bien ! c’est le comble, il est encore plus coquin que les autres !

Muffat avait accepté les autres. Maintenant, il mettait sa dernière dignité à rester « monsieur » pour les domestiques et les familiers de la maison, l’homme qui, donnant le plus, était l’amant officiel. Et sa passion s’acharnait. Il se maintenait en payant, achetant très cher jusqu’aux sourires, volé même et n’en ayant jamais pour son argent ; mais c’était comme une maladie qui le rongeait, il ne pouvait s’empêcher d’en souffrir. Lorsqu’il entrait dans la chambre de Nana, il se contentait d’ouvrir un instant les fenêtres, afin de chasser l’odeur des autres, des effluves de blonds et de bruns, des fumées de cigare dont l’âcreté le suffoquait. Cette chambre devenait un carrefour, continuellement des bottes s’essuyaient sur le seuil ; et pas un n’était arrêté par le trait de sang qui barrait la porte. Zoé avait gardé une préoccupation de cette tache, une simple manie de fille