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NANA

Lucy avait dit à son cocher d’aller bon train. Alors, au trot rapide des chevaux, le long de la rue Royale et des boulevards, elle conta l’aventure de Nana, en paroles coupées, sans reprendre haleine.

— Tu ne peux pas t’imaginer… Nana débarque de Russie, je ne sais plus pourquoi, un attrapage avec son prince… Elle laisse ses bagages à la gare, elle descend chez sa tante, tu te rappelles, cette vieille… Bon elle tombe sur son bébé qui avait la petite vérole ; le bébé meurt le lendemain, et elle s’empoigne avec la tante, à propos de l’argent qu’elle devait envoyer, et dont l’autre n’a jamais vu un sou… Paraît que l’enfant est mort de ça ; enfin un enfant lâché et pas soigné… Très bien ! Nana file, va dans un hôtel, puis rencontre Mignon, juste comme elle songeait à ses bagages… Elle devient toute chose, elle a des frissons, des envies de vomir, et Mignon la reconduit chez elle, en lui promettant de veiller sur ses affaires… Hein ? est-ce drôle, est-ce machiné ! Mais voici le plus beau : Rose apprend la maladie de Nana, s’indigne de la savoir seule dans une chambre meublée, accourt la soigner en pleurant… Tu te souviens comme elles se détestaient ; deux vraies furies ! Eh bien ! ma chère, Rose a fait transporter Nana au Grand-Hôtel, pour qu’elle mourût au moins dans un endroit chic, et elle a déjà passé trois nuits, quitte à en crever ensuite… C’est Labordette qui m’a raconté ça. Alors j’ai voulu voir…

— Oui, oui, interrompit Caroline très excitée. Nous allons monter.

Elles étaient arrivées. Sur le boulevard, le cocher avait dû retenir ses chevaux, au milieu d’un embarras de voitures et de piétons. Dans la journée, le Corps législatif venait de voter la guerre ; une foule descendait de toutes les rues, coulait le long des trot-