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NANA

— Oui, à quoi bon ? répétèrent les deux autres.

La foule augmentait toujours. Dans le coup de lumière des boutiques, sous les nappes dansantes du gaz, on distinguait le double courant des trottoirs, qui charriait des chapeaux. À cette heure, la fièvre gagnait de proche en proche, des gens se jetaient à la suite des bandes en blouse, une poussée continue balayait la chaussée ; et le cri revenait, sortait de toutes les poitrines, saccadé, entêté :

— À Berlin ! à Berlin ! à Berlin !

En haut, au quatrième étage, la chambre coûtait douze francs par jour, Rose ayant voulu quelque chose de convenable, sans luxe cependant, car on n’a pas besoin de luxe pour souffrir. Tendue de cretonne Louis XIII à grosses fleurs, la chambre avait le mobilier d’acajou de tous les hôtels, avec un tapis rouge semé d’un feuillage noir. Un lourd silence régnait, coupé d’un chuchotement, lorsque des voix s’élevèrent dans le corridor.

— Je t’assure que nous sommes perdues. Le garçon a dit de tourner à droite… En voilà une caserne !

— Attends donc, il faut voir… Chambre 401, chambre 401 …

— Eh ! par ici.. 405, 403… Nous devons y être… Ah ! enfin, 401 !… Arrivez, chut ! chut !

Les voix se turent. On toussa, on se recueillit un instant. Puis, la porte ouverte avec lenteur, Lucy entra, suivie de Caroline et de Blanche. Mais elles s’arrêtèrent, il y avait déjà cinq femmes dans la chambre. Gaga était allongée au fond de l’unique fauteuil, un voltaire de velours rouge. Devant la cheminée, Simonne et Clarisse debout causaient avec Léa de Horn, assise sur une chaise ; tandis que, devant le lit, à gauche de la porte, Rose Mignon, posée au bord du coffre à bois, regardait fixement le corps perdu dans