— Ne dis donc pas de mal des Prussiens !… Ce sont des hommes pareils aux autres, et qui ne sont pas toujours sur le dos des femmes, comme tes Français… On vient d’expulser le petit Prussien qui était avec moi, un garçon très riche, très doux, incapable de faire du mal à personne. C’est une indignité, ça me ruine… Et, tu sais, il ne faut pas qu’on m’embête, ou je vais le retrouver en Allemagne !
Alors, pendant qu’elles s’empoignaient, Gaga murmura d’une voix dolente.
— C’est fini, je n’ai pas de chance… Il n’y a pas huit jours, j’ai achevé de payer ma petite maison de Juvisy, ah ! Dieu sait avec quelle peine ! Lili a dû m’aider… Et voilà la guerre déclarée, les Prussiens vont venir, ils brûleront tout… Comment veut-on que je recommence, à mon âge ?
— Bah ! dit Clarisse, je m’en fiche ! je trouverai toujours.
— Bien sûr, ajouta Simonne. Ça va être drôle… Peut-être, au contraire, que ça marchera…
Et, d’un sourire, elle compléta sa pensée. Tatan Néné et Louise Violaine étaient de cet avis ; la première raconta qu’elle avait fait des noces à tout casser avec des militaires ; oh ! de bons garçons, et qui auraient commis les cent dix-neuf coups pour les femmes. Mais, ces dames ayant trop élevé la voix, Rose Mignon, toujours sur le coffre, devant le lit, les fit taire d’un chut ! soufflé légèrement. Elles restèrent saisies, avec un regard oblique vers la morte, comme si cette prière de silence fût sortie de l’ombre même des rideaux ; et, dans la lourde paix qui tomba, cette paix du néant où elles sentaient la rigidité du cadavre étendu près d’elles, les cris de la foule éclatèrent :
— À Berlin ! à Berlin ! à Berlin !