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LES ROUGON-MACQUART

malgré les fortes bûches qui brûlaient dans la cheminée. Jamais le soleil ne descendait là ; le jour, une clarté verdâtre éclairait à peine la pièce ; mais, le soir, quand les lampes et le lustre étaient allumés, elle n’était plus que grave, avec ses meubles empire d’acajou massif, ses tentures et ses sièges de velours jaune, à larges dessins satinés. On entrait dans une dignité froide, dans des mœurs anciennes, un âge disparu exhalant une odeur de dévotion.

Cependant, en face du fauteuil où la mère du comte était morte, un fauteuil carré, au bois raidi et à l’étoffe dure, de l’autre côté de la cheminée, la comtesse Sabine se tenait sur une chaise profonde, dont la soie rouge capitonnée avait une mollesse d’édredon. C’était le seul meuble moderne, un coin de fantaisie introduit dans cette sévérité, et qui jurait.

— Alors, disait la jeune femme, nous aurons le shah de Perse…

On causait des princes qui viendraient à Paris pour l’exposition. Plusieurs dames faisaient un cercle devant la cheminée. Madame Du Joncquoy, dont le frère, un diplomate, avait rempli une mission en Orient, donnait des détails sur la cour de Nazar-Eddin.

— Est ce que vous êtes souffrante, ma chère ? demanda madame Chantereau, la femme d’un maître de forges, en voyant la comtesse prise d’un léger frisson, qui la pâlissait.

— Mais non, pas du tout, répondit celle-ci, souriante. J’ai eu un peu froid… Ce salon est si long à chauffer !

Et elle promenait son regard noir le long des murs, jusqu’aux hauteurs du plafond. Estelle, sa fille, une jeune personne de seize ans, dans l’âge ingrat, mince