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LES ROUGON-MACQUART

jeunes gens faisaient un autre groupe, près de la porte, où ils entouraient le comte Xavier de Vandeuvres, qui, à demi-voix, leur racontait une histoire, très leste sans doute, car ils étouffaient des rires. Au milieu de la pièce, tout seul, assis pesamment dans un fauteuil, un gros homme, chef de bureau au ministère de l’intérieur, dormait les yeux ouverts. Mais un des jeunes gens ayant paru douter de l’histoire de Vandeuvres, celui-ci haussa la voix.

— Vous êtes trop sceptique, Foucarmont ; vous gâterez vos plaisirs.

Et il revint en riant près des dames. Le dernier d’une grande race, féminin et spirituel, il mangeait alors une fortune avec une rage d’appétits que rien n’apaisait. Son écurie de courses, une des plus célèbres de Paris, lui coûtait un argent fou ; ses pertes au Cercle Impérial se chiffraient chaque mois par un nombre de louis inquiétant ; ses maîtresses lui dévoraient, bon an mal an, une ferme et quelques arpents de terre ou de forêts, tout un lambeau de ses vastes domaines de Picardie.

— Je vous conseille de traiter les autres de sceptiques, vous qui ne croyez à rien, dit Léonide, en lui ménageant une petite place à côté d’elle. C’est vous qui gâtez vos plaisirs.

— Justement, répondit-il. Je veux faire profiter les autres de mon expérience.

Mais on lui imposa silence. Il scandalisait M. Venot. Alors, les dames s’étant écartées, on aperçut, au fond d’une chaise longue, un petit homme de soixante ans, avec des dents mauvaises et un sourire fin ; il était là, installé comme chez lui, écoutant tout le monde, ne lâchant pas une parole. D’un geste, il dit qu’il n’était pas scandalisé. Vandeuvres avait repris son grand air, et il ajouta gravement :