Page:Zola - Nana.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
NANA

-mère. Dans le monde, les uns la disaient d’une froideur de dévote, les autres la plaignaient, en rappelant ses beaux rires, ses grands yeux de flamme, avant qu’on l’enfermât au fond de ce vieil hôtel. Fauchery l’examinait et hésitait. Un de ses amis, mort récemment capitaine au Mexique, lui avait, la veille même de son départ, au sortir de table, fait une de ces confidences brutales que les hommes les plus discrets laissent échapper à de certains moments. Mais ses souvenirs restaient vagues ; ce soir-là, on avait bien dîné ; et il doutait, en voyant la comtesse au milieu de ce salon antique, vêtue de noir, avec son tranquille sourire. Une lampe, placée derrière elle, détachait son fin profil de brune potelée, où la bouche seule, un peu épaisse, mettait une sorte de sensualité impérieuse.

— Qu’ont-ils donc, avec leur Bismarck ? murmura la Faloise, qui posait pour s’ennuyer dans le monde. On crève, ici. Une drôle d’idée que tu as eue, de vouloir venir !

Fauchery l’interrogea brusquement.

— Dis donc ? la comtesse ne couche avec personne ?

— Ah ! non, ah ! non, mon cher, balbutia-t-il, visiblement démonté, oubliant sa pose. Où crois-tu donc être ?

Puis, il eut conscience que son indignation manquait de chic. Il ajouta, en s’abandonnant au fond du canapé :

— Dame ! je dis non, mais je n’en sais pas davantage… Il y a un petit, là-bas, ce Foucarmont, qu’on trouve dans tous les coins. On en a vu de plus raide que ça, bien sûr. Moi, je m’en fiche… Enfin, ce qu’il y a de certain, c’est que, si la comtesse s’amuse à cascader, elle est encore maligne, car ça ne circule pas, personne n’en cause.