Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/115

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quatorze heures, rire le soir de son bon rire, en se frottant les bras d’un air satisfait. Il n’était jamais triste, jamais las. Il aurait soutenu la maison sur son épaule, si la maison avait croulé. L’hiver, il disait qu’il faisait bon dans sa forge. L’été, il ouvrait la porte toute grande et laissait entrer l’odeur des foins. Quand l’été vint, à la tombée du jour, j’allais m’asseoir à côté de lui, devant la porte. On était à mi-côte ; on voyait de là toute la largeur de la vallée. Il était heureux de ce tapis immense de terres labourées, qui se perdait à l’horizon dans le lilas clair du crépuscule.

Et le Forgeron plaisantait souvent. Il disait que toutes ces terres lui appartenaient, que la forge, depuis plus de deux cents ans, fournissait des charrues à tout le pays. C’était son orgueil. Pas une moisson ne poussait sans lui. Si la plaine était verte en mai et jaune en juillet, elle lui devait cette soie changeante. Il aimait les récoltes comme ses filles, ravi des grands soleils, levant le poing contre les nuages de grêle qui crevaient. Souvent, il me montrait au loin quelque pièce de terre qui paraissait moins large que le dos de sa veste, et il me racontait en quelle année il avait forgé une charrue pour ce carré d’avoine ou de seigle. À l’époque du labour, il lâchait parfois ses marteaux ; il venait