Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/157

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légendes atroces, avec des poteaux pleins de menaces dont nous ne nous inquiétions guère. Nous les prenions pour cibles, et il ne restait souvent qu’un bout de planche tenu par un clou, que le vent balançait.

Le soir, l’eau était brûlante. Les grands soleils chauffaient l’eau des trous, au point qu’il fallait la laisser refroidir, dans les premières fraîcheurs du crépuscule. Nous restions nus sur le sable, pendant des heures, luttant, jetant des pierres aux poteaux, prenant des grenouilles avec les mains, dans la vase. La nuit tombait, un immense soupir, un soupir de soulagement passait sur les arbres.

Alors, c’était des baignades sans fin. Quand nous étions las, nous nous couchions dans l’eau, sur le bord, à un endroit peu profond, la tête sur quelque touffe d’herbe. Et nous demeurions là, avec le continuel glissement de la rivière sur notre peau, nos jambes flottant, comme emportées à la dérive. C’était l’heure où les pions étaient sévèrement jugés et où les devoirs du lendemain s’en allaient dans la fumée des premières pipes.

Bonne rivière où j’ai appris à faire la planche, eau tiède où les petits poissons blancs cuisaient, je t’aime encore comme une maîtresse enfantine. Tu nous as pris un camarade, un soir, dans un de