Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/17

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dans ses dures mains. J’ai été fou d’analyse exacte. Après les travaux courants, je prenais mes nuits, j’écrivais page à page les livres qui me hantaient. Si j’ai un orgueil, j’ai celui de cette volonté, dont l’effort m’a tiré lentement des besognes du métier. J’ai mangé, sans rien vendre de mes croyances. Je te devais ces confidences, à toi qui as le droit de savoir quel homme est devenu l’enfant dont tu as protégé les débuts.

Aujourd’hui, ma seule souffrance est d’être seul. Le monde finit à la grille de mon jardin. Je me suis enfermé chez moi pour ne mettre que le travail dans ma vie, et je me suis si bien enfermé, que personne ne vient plus. C’est pourquoi, ma chère âme, j’ai évoqué ton souvenir, au milieu de la lutte. J’étais trop seul, après dix ans de séparation ; je voulais te revoir, te baiser les cheveux, te dire que je t’aime toujours. Cela me soulage. Viens, et n’aie point peur, je ne suis pas si noir qu’on me fait. Je t’assure, je t’aime toujours, je rêve d’avoir encore des roses, pour en mettre un bouquet à ton sein. J’ai des envies de laitage. Si je ne craignais de faire rire, je t’emmènerais sous quelque charmille, avec un mouton blanc, pour nous dire tous les trois des choses tendres.

Et sais-tu ce que j’ai fait, Ninon, pour te rete-