Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/219

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— Un jour, on nous avait placés à cent mètres d’un village occupé par les ennemis, avec ordre de ne pas bouger, de ne pas tirer. Voilà que ces gueux d’Autrichiens ouvrent sur notre régiment une fusillade de tous les diables. Pas moyen de s’en aller. À chaque rafale de balles, nous baissions la tête. J’en ai vu qui se jetaient à plat ventre. C’était honteux. On nous a laissés là pendant un quart d’heure. Et il y a deux de mes camarades dont les cheveux ont blanchi.

Puis il reprenait :

— Non, vous n’avez point la moindre idée de cela. Les livres arrangent la chose… Tenez, le soir de Solférino, nous ne savions seulement pas si nous étions vainqueurs. Des bruits couraient que les Autrichiens allaient venir nous massacrer. Je vous assure que nous n’étions pas à la noce. Aussi, le matin, quand on nous fit lever avant le jour, nous grelottions, nous avions une peur terrible que la bataille ne reprît de plus belle. Ce jour-là, nous aurions été vaincus, car nous n’avions plus pour deux liards de force. Puis, on vint nous dire : la paix est signée. Alors tout le régiment se mit à faire des cabrioles. Ce fut une joie bête. Des soldats se prenaient les mains et faisaient des rondes, comme des petites filles… Je ne