Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/238

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lée d’un métal en fusion. Au couchant, une ligne de collines basses et dentelées faisait sur la pâleur du ciel de légères taches violettes.

Depuis dix ans, j’habitais ce coin perdu. Que de fois mon oncle Lazare m’avait attendu pour me donner ma leçon de latin ! Le digne homme voulait faire de moi un savant. Moi, j’étais de l’autre côté de la Durance, je dénichais des pies, je faisais la découverte d’un coteau sur lequel je n’avais pas encore grimpé. Puis, au retour, c’était des remontrances : le latin était oublié, mon pauvre oncle me grondait d’avoir déchiré mes culottes, et il frissonnait en voyant parfois que la peau, par-dessous, se trouvait entamée. La vallée était à moi, bien à moi ; je l’avais conquise avec mes jambes, j’en étais le vrai propriétaire, par droit d’amitié. Et ce bout de rivière, ces deux lieues de Durance, comme je les aimais, comme nous nous entendions bien ensemble ! Je connaissais tous les caprices de ma chère rivière, ses colères, ses grâces, ses physionomies diverses à chaque heure de la journée.

Ce matin-là, lorsque j’arrivai au bord de l’eau, j’eus comme un éblouissement à la voir si douce et si blanche. Jamais elle n’avait eu un si gai visage. Je me glissai vivement sous les saules,