Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/241

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froid. Que m’importaient mes camarades, les cailloux et les arbres des coteaux ! La rivière pouvait s’en aller tout d’un trait si elle voulait ; ce n’est pas moi qui l’aurais regrettée.

Et le printemps, je ne me souciais nullement du printemps ! Il aurait emporté le soleil qui me chauffait le dos, ses feuillages, ses rayons, toute sa matinée de mai, que je serais resté là, en extase, à regarder Babet, courant dans le sentier en balançant délicieusement ses jupes. Car Babet avait pris dans mon cœur la place de la vallée, Babet était le printemps. Jamais je ne lui avais parlé. Nous rougissions tous les deux, lorsque nous nous rencontrions dans l’église de mon oncle Lazare. J’aurais juré qu’elle me détestait.

Elle causa, ce jour-là, pendant quelques minutes avec les lavandières. Ses rires perlés arrivaient jusqu’à moi, mêlés à la grande voix de la Durance. Puis, elle se baissa pour prendre un peu d’eau dans le creux de sa main ; mais la rive était haute, Babet, qui faillit glisser, se retint aux herbes.

Je ne sais quel frisson me glaça le sang. Je me levai brusquement, et, sans honte, sans rougeur, je courus auprès de la jeune fille. Elle me regarda, effarouchée ; puis, elle se mit à sourire. Moi, je