Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/261

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traversaient cette fumée. Et, frémissants, nous n’avancions toujours pas. Mais les balles venaient jusqu’à nous ; des soldats tombaient avec un hurlement. Les chefs criaient plus haut :

— En avant, en avant !

Les rangs de derrière, qu’ils poussaient, nous forçaient à marcher. Alors, fermant les yeux, nous prîmes un nouvel élan, nous entrâmes dans la fumée.

Une rage furieuse s’était emparée de nous. Lorsque retentit le cri de : Halte ! nous eûmes peine à nous arrêter. Dès qu’on reste immobile, la peur revient, on a des envies de se sauver. La fusillade commença. Nous tirions devant nous, sans viser, trouvant quelque soulagement à envoyer des balles dans la fumée. Je me rappelle que je lâchais mes coups de feu machinalement, les lèvres serrées, les yeux agrandis ; je n’avais plus peur, car, à vrai dire, je ne savais plus si j’existais. La seule idée qui me battait dans la tête, était que je tirerais jusqu’à ce que tout fût fini. Mon compagnon de gauche reçut une balle en plein visage et il tomba sur moi ; je le repoussai brutalement, essuyant ma joue qu’il avait inondée de sang. Et je me remis à tirer.

Je me souviens encore d’avoir vu notre colonel,