Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/263

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cadavres s’amoncelaient à cette place, et bientôt les boulets ne frappèrent plus que dans un tas de chairs meurtries ; des lambeaux de membres volaient, à chaque nouveau coup de canon. Nous ne pouvions plus serrer les rangs.

Les soldats hurlaient, les chefs eux-mêmes furent entraînés.

— À la baïonnette, à la baïonnette !

Et, sous une pluie de balles, le bataillon courut avec rage au-devant des boulets. Le rideau de fumée se déchira ; sur un petit monticule, nous aperçûmes la batterie ennemie rouge de flammes, qui faisait feu sur nous de toutes les gueules de ses pièces. Mais l’élan était pris, les boulets n’arrêtaient que les morts.

Je courais à côté du colonel Montrevert, dont le cheval venait d’être tué, et qui se battait comme un simple soldat. Brusquement, je fus foudroyé ; il me sembla que ma poitrine s’ouvrait et que mon épaule était emportée. Un vent terrible me passa sur la face.

Et je tombai. Le colonel s’abattit à mon côté. Je me sentis mourir, je songeai à mes chères affections, je m’évanouis en cherchant d’une main défaillante la lettre de mon oncle Lazare.

Lorsque je revins à moi, j’étais couché sur le