Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/265

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Je pensai que nous étions vainqueurs, je goûtai un plaisir égoïste à me dire que je pourrais mourir en paix dans cette plaine déserte. Autour de moi, la terre était noire. En levant la tête, je vis, à quelques mètres, la batterie ennemie sur laquelle nous nous étions rués. La lutte avait dû être horrible ; le monticule était couvert de corps hachés et défigurés ; le sang avait coulé si abondamment, que la poussière semblait un large tapis rouge. Au-dessus des cadavres, les canons allongeaient leurs gueules sombres. Je frissonnai, en écoutant le silence de ces canons.

Alors, doucement, avec de précautions infinies, je parvins à me mettre sur le ventre. J’appuyai ma tête sur une grosse pierre tout éclaboussée, et je tirai de ma poitrine la lettre de mon oncle Lazare. Je la posai devant mes yeux ; mes larmes m’empêchaient de la lire.

Et le soleil me brûlait le dos, des odeurs âcres de sang me prenaient à la gorge. Je sentais autour de moi la plaine navrante, j’étais comme roidi par la rigidité des morts. C’était dans le silence chaud et nauséabond du meurtre que mon pauvre cœur pleurait.

L’oncle Lazare m’écrivait :