Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/273

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on viendra me ramasser si l’on veut. Dormons.

J’eus encore la force de me dresser à demi et de crier de tout le souffle qui me restait. Des hommes passaient au loin, ramassant les blessés ; ils accoururent, ils nous couchèrent côte à côte sur une civière.

— Mon camarade, me dit le colonel pendant le trajet, la mort ne veut pas de nous. Je vous dois la vie, je m’acquitterai de ma dette, le jour où vous aurez besoin de moi… Donnez-moi votre main.

Je mis ma main dans la sienne, et c’est ainsi que nous arrivâmes aux ambulances. On avait allumé des torches ; les chirurgiens coupaient et sciaient, au milieu de hurlements épouvantables ; une odeur fade s’exhalait des linges ensanglantés, tandis que les torches jetaient dans les cuvettes des moires d’un rose sombre.

Le colonel supporta courageusement l’amputation de son bras ; je vis seulement ses lèvres blanchir et ses yeux se voiler. Quand mon tour fut venu, un chirurgien me visita l’épaule.

— C’est un boulet qui vous a fait cela, dit-il, deux centimètres plus bas, et vous aviez l’épaule emportée. La chair seule a été meurtrie.

Et, comme je demandais à l’aide qui me pansait si ma blessure était grave :