Page:Zola - Nouveaux contes à Ninon, 1893.djvu/304

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eaux, je t’ai aimée d’amour, tu as été ma première maîtresse, et tu me voles aujourd’hui, tu viens ébranler ma ferme et emporter mes bestiaux. Ah ! maudite, maudite !… Puis, tu m’as donné Babet, tu t’es promenée avec douceur au bord de mes prés. Moi, je croyais que tu étais une bonne mère, je me rappelais que l’oncle Lazare avait eu de la tendresse pour tes eaux claires, je pensais te devoir de la reconnaissance… Tu es une marâtre, je ne te dois que de la haine…

Mais la Durance, de sa voix de tonnerre, étouffait mes cris ; et, large, indifférente, elle étalait et poussait ses flots avec l’entêtement tranquille des choses.

Je rentrai dans la chambre, j’allai embrasser Babet qui pleurait. La petite Marie dormait en souriant.

— Ne t’effraye pas, dis-je à ma femme. L’eau ne peut toujours monter… Elle va certainement descendre… Il n’y a aucun danger.

— Non, il n’y a aucun danger, répétait Jacques fiévreusement. La maison est solide.

À ce moment, Marguerite, qui s’était approchée de la fenêtre, prise de la curiosité de la peur, se pencha comme folle, et tomba, en poussant un cri. Je me jetai devant la fenêtre, mais je